Gimme Mort

Ce n'est pas parce qu'on va tous y passer qu'on ne peut pas en parler.

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Par Stéphane Durand
18 août · 6 mn à lire
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Les gens mortels : Solayman Belmihoub.

Entrevue avec Solayman Belmihoub, comédien et auteur du documentaire Les Pieds devant, qui a décidé de troquer les scènes de stand-up pour aller à la rencontre d’un autre public : les employés du monde du funéraire.

Quel était ton rapport avec la mort avant de réaliser ce documentaire?

La mort me terrifiait! Lorsque ma grand-mère est décédée, il a fallu qu’on la descende nous-même de son appartement. Je ne pouvais même pas pousser un petit oiseau mort sur le côté de la route, alors l’idée de devoir toucher le cadavre de ma grand-mère était inconcevable. C’est aussi pour cela que j’ai voulu faire ce film, ça m'a servi de thérapie : aller voir tous ces gens, parler avec eux et tenter de me réconcilier avec tout ça.

Comment t’est venue l’idée de consacrer un documentaire à ce sujet?

Comme je le dis dans le film, tout est arrivé le jour où ma grand-mère est morte. Une fois chez elle, j’ai entendu quelqu’un, qui semblait très détendu, passer un coup de fil. Je pensais que c’était un voisin qui parlait à un de ses amis, puis je me suis aperçu qu'il s'agissait d'un gars des pompes funèbres. Ça m'a choqué qu’un employé des pompes funèbres ait l’air cool, et je me suis demandé pourquoi je réagissais comme ça. Je me suis dit que j'avais l'esprit fermé et qu'il fallait que j'y remédie. J’ai donc commencé à effectuer des recherches sur les pompes funèbres, pour comprendre comment ça marche, comment on y entre, etc. Cette idée est restée dans ma tête jusqu’au jour où j’ai commencé à travailler dans une boîte de prod en tant qu’auteur. Je fumais une clope avec le producteur de l'agence, on se trouvait à côté d’une église dans laquelle se déroulait un enterrement. On voyait les hommes qui portaient le cercueil et mon collègue m’a dit: « Je ne sais pas comment on peut faire ce boulot! » Je lui ai répondu que lorsqu’ils ne seraient plus avec les familles à s’occuper du cercueil, ils auraient l’air bien plus normaux. Et effectivement, ça n’a pas loupé, une fois qu’ils sont ressortis de l’église, on les voyait discuter et rire ensemble. J’ai fait comprendre à mon collègue que l’on avait un mauvais a priori sur ces gens et j’ai lancé l’idée de réaliser un documentaire sur eux. Il m’a répondu que ça n’intéresserait absolument personne et qu’aucun diffuseur ne financerait le projet. Je n’étais pas d’accord, et dans le doute, j’ai quand même monté mon dossier.

On sait d’ailleurs que les médias sont un peu frileux lorsqu’il s’agit de parler de la mort. As-tu rencontré des difficultés pour préparer ce documentaire?

Je me suis pris des crampes par à peu près tout le monde; mais concours de circonstances, une personne décisionnaire chez France TV était en train de vivre un deuil et le sujet l’a beaucoup touchée, elle a donc poussé mon projet pour qu’il existe. Sans cela, je n’aurai jamais pu le faire.

À la base, tu es comédien, comment imaginais-tu le monde du funéraire?

Je pensais que c’était une vocation très ancestrale, que les gens étaient dans ce milieu de père en fils, ce qui était d’ailleurs vrai il fut un temps. C’est horrible ce que je vais dire, mais je ne savais pas si les gens qui travaillaient dans le funéraire y allaient par dépit, ou si c'était un choix et qu'il existait un vrai cursus avec des études spécifiques.

Et alors, agréablement surpris?

Je me suis vite rendu compte que si tu voulais travailler dans le secteur de la mort, il fallait en avoir envie, ça n’arrive pas en claquant des doigts. Pour devenir maître de cérémonie ou thanatopracteur, il y a vraiment du boulot derrière. Tous les gens que j’ai rencontrés avaient de réelles raisons et motivations pour faire ce métier. Il y en a même qui ont abandonné des carrières plutôt cool, comme on peut le voir avec l’exemple de Carole, directrice de pompes funèbres à Amiens et qui, à la base, était aux ressources humaines dans une grosse boîte. Elle a voulu se consacrer à un métier utile pour les autres. Plus le tournage avançait, et plus mes idées reçues sur les gens exerçant cette profession étaient balayées.

Le monde des pompes funèbres t’a-t-il facilement ouvert les portes?

C’était compliqué car visiblement ils ont une appréhension/haine du journaliste. Ils ont l’impression qu’on leur fait toujours croire que le sujet sera positif pour se retrouver avec un projet anglé sur le business de la mort et la manne financière qui en découle. Du coup, j’ai eu de grands patrons de sociétés funéraires qui me disaient que ça ne les intéressait pas car on allait encore véhiculer une mauvaise image. Je leur ai précisé que je n’étais pas journaliste et qu’à l’inverse, je voulais montrer la beauté de leur métier, mais ils n’y croyaient plus. C’était donc assez compliqué mais j’ai eu la chance de rencontrer Frantz le thanatopracteur que l’on voit dans le documentaire. La société pour laquelle il travaille a tout de suite compris mes intentions et ils m’ont beaucoup aidé à trouver des intervenants.

On te voit d’ailleurs très mal à l’aise à ses côtés durant la séance de thanato…

Ce fut une expérience horrible d’assister à cette étape qui consiste à pratiquer des soins de conservation sur les morts. La veille du tournage, ma femme m’a même dit: « Et si jamais ça te traumatise et que tu reviens changé? » J’avoue qu’il y a encore des images que je n’ai pas réussi à gérer, cela a été très dur à vivre. J’avais pourtant vu des vidéos, et bien saisi le concept: on doit coudre la bouche pour qu'elle ne s'ouvre pas, ajouter du formol avec une seringue pour conserver le plus longtemps possible l’apparence du cadavre… mais je ne pensais pas que le processus était aussi intrusif et que l’on devait introduire une grosse aiguille dans le cœur, les poumons ou la gorge… je n’étais pas prêt!

En revanche, on sent que tu prends un réel plaisir à découvrir le métier de conseiller funéraire, assez pour te donner l’envie d’une reconversion?

Avant, je me disais qu'il fallait être vraiment malade pour faire ce boulot. Maintenant, même si j'adore mon métier, j'avoue que ça pourrait devenir une option envisageable. Quand tu vois ce que cela apporte aux gens, ce n’est plus une profession que je m’interdirai de faire un jour. À croire d’ailleurs que le documentaire m’a laissé quelques séquelles puisque mon prochain a pour sujet les crises d’angoisse! Je subis des troubles de panique depuis mes 22 ans et grâce aux Pieds devant, je sais maintenant que si je ressentais toute cette anxiété et cette hypocondrie, c’était parce que j’avais tout simplement peur… de mourir.

Et le fait d’avoir découvert le monde des pompes funèbres ne t’a pas aidé à moins redouter ce moment?

Je suis beaucoup moins effrayé par la mort, j’ai effectué une sorte d’introspection à la fin du tournage et je me suis rendu compte qu’en réalité, je craignais de mourir seul, d’être le premier à partir et que tout le monde reste. Mais en voyant tout ce travail des pompes funèbres, j'ai compris que même mort, tu n’es pas seul car des gens s’occupent de toi jusqu’au bout, et puis ta famille prend le relais. Je vais quitter mon enveloppe corporelle mais je sais qu’elle sera entre de bonnes mains.

Que retiens-tu de cette expérience?

Cela peut paraître paradoxal, mais je me rappelle avant tout l’humour qui existe dans cet univers. J’ai trouvé ça assez dingue tous ces gens qui sont en réalité hyper-humains, respectueux, et qui blaguent… comme n’importe qui.

Les pieds devant, documentaire à voir gratuitement sur ce lien sur le site de france TV

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