Gimme Mort

Ce n'est pas parce qu'on va tous y passer qu'on ne peut pas en parler.

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Par Stéphane Durand
25 juin · 7 mn à lire
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Les gens mortels : Julie, célébrante funéraire.

Julie s’est donnée une mission : transformer les funérailles en une véritable célébration de la vie. Rencontre avec celle qui rend les adieux vivants.

Comment décrirais-tu ton métier ?

Plusieurs termes existent, mais j’aime beaucoup « célébrante de funérailles », je célèbre la vie des gens lorsqu’ils meurent.

Quel a été ton parcours avant de te lancer dans le funéraire ?

Tellement varié! J’ai 39 ans et j’ai passé une longue partie de ma carrière dans l’animation avec les enfants, j’ai dirigé des colos et des classes vertes. Depuis maintenant huit ans, je suis à mon compte et je célèbre des mariages. J’avais cette idée de travailler dans le funéraire mais je n’étais pas prête émotionnellement. C’est pour cela que je me suis dirigée vers le mariage en premier lieu, pour explorer l’émotion des autres, les histoires de vie, et voir ma façon de réagir, ce que je peux apporter, jusqu’au jour où cela n’a plus fait sens, j’ai senti que c’était le moment, j’étais prête.

On peut parler de déclic ?

Non, j’y pense depuis 2003, depuis que j’ai perdu mon grand-père. J’avais 20 ans et j’ai refusé que sa cérémonie soit banale. Je me suis activée pour choisir des musiques, j’ai écrit une poésie et j’ai tout organisé. Je viens d’un tout petit village des Landes et, avec le bouche-à-oreille, les gens ont commencé à me solliciter. On m’a proposé de prononcer des discours mais à l’époque, je n’étais pas prête. Je suis très sensible et si je célèbre des funérailles, je dois donner de la force aux gens, je ne peux pas le faire à moitié. Je sentais qu’il fallait que je sois plus solide pour convoquer ces forces sans me laisser submerger par les émotions. Avec les célébrations de mariage, il est souvent arrivé que les mariés me demandent de rendre hommage à un père ou une mère qui n’était plus là, à un proche disparu, lors du discours. Je cherchais alors comment évoquer la mémoire de quelqu’un d’une façon très vivante et je me suis rendu compte que c’était ce genre de moment que j’aimais le plus, trouver les mots justes pour embarquer tout le monde. Plus tard, ce sont les mariés que j’avais célébrés qui m’appelaient lorsqu’un décès touchait quelqu’un qu’ils connaissaient et j’ai compris que c'était ce que je voulais vraiment faire.

Quelle a été la réaction de tes proches à l’annonce de ce nouveau choix de carrière ?

Aucune! C’était tellement évident à leurs yeux, leur réaction a plutôt été: « Ça y est, elle a enfin franchi le pas! » Avec le recul, je me souviens que je parlais déjà de ce métier dès mon parcours d’orientation au collège, mais comme je suis une personne pleine de vie et très souriante, les gens s’exclamaient « mais ça ne va pas en ce moment? », lorsque j’évoquais cette piste professionnelle. On me disait que cette fascination morbide était due à l'adolescence. J’ai donc arrêté d’en parler, mais au fond, j’avais ce projet en tête depuis toujours.

Une fois ta décision prise, le monde des pompes funèbres t’a-t-il facilement acceptée ?

Oui, car malgré mes huit années d’expérience en tant que célébrante de mariage, je suis restée humble et j’ai tout recommencé à zéro pour voir, écouter, et apprendre des autres. J’ai vite trouvé une place dans un crématorium et ils m’ont tout de suite mise à l’aise pour que j’exerce comme je le sentais. Pendant des mois, je me suis dit: « Mais les gars, vous n’êtes pas prêts! » Petit à petit, je me suis questionnée sur la façon dont je pouvais apporter ma touche personnelle dans ce métier, mais je voulais d’abord voir si les familles et mes collègues étaient OK.

Qu'est-ce qui te différencie d’un maître de cérémonie « traditionnel » ?

L’autorisation. Je n’aime pas trop lorsqu’on dit: « Les pompes funèbres, ce sont tous des nazes, ils sont cupides et mauvais… » Ce n’est pas vrai, il y a des gens très bien intentionnés sauf qu’ils ont été formatés. On leur a donné un modèle à suivre et ils ne le remettent pas en question. Ils me disent que j’ai de la chance car je suis libre, mais je leur réponds qu’ils le sont tout autant s'ils décident de l’être.

Et comment se traduit cette liberté ?

Par la façon dont j’écris mes textes, la manière dont je pose ma voix… Il faut savoir que lorsque j’effectue une cérémonie au crématorium, le temps d'organisation avec les familles est minime. On se parle au téléphone, ils me donnent une liste de chansons, mais au final, je ne connais rien de leur vie. Du coup, j’ai le souci de récolter toutes les informations que je peux donc j’écoute, j’observe, je regarde les photos. Puis je m’autorise à y aller, je parle de la vie du défunt en me basant sur ce que je vois, avec le cœur. Mes cérémonies deviennent des échanges, des moments de partage. J’utilise aussi beaucoup de poésie, c’est ce qui peut faire ma différence.

Cette différence se voit-elle dans ton look ?

J’ai la coupe au bol et quand je sors de chez le coiffeur, c’est bien rasé sur les côtés! Je ne savais pas si ça allait passer, mais en fait, les gens n’y prêtent pas du tout attention. J’ai respecté le dresscode de m’habiller en noir, mais je twiste un peu l’uniforme en accrochant de jolies broches. Parfois, j’ai de grosses lunettes mais vraiment, mon look, tout le monde s’en fout. Je m’habille dans la vie de tous les jours d’une manière très colorée, je n’avais d’ailleurs aucun vêtement noir avant de commencer le métier. Je me suis dit que j’allais très vite ajouter de la couleur mais j’ai complètement changé d’avis à ce sujet car je me suis aperçue que le noir correspondait bien au cadre, c’est comme un repère pour les gens. Le fait de m’habiller en noir prouve que j’accepte les émotions, je suis là pour les absorber. Ce sont mes mots et ma façon de faire qui vont envoyer de la couleur.

On peut d’ailleurs retrouver ces mots sur ton compte instagram @m.u.r.m.u.r.e.s, pourquoi partager ces expériences ?

Juste après le premier confinement, au printemps 2020, j’ai senti que la mentalité sur les questions liées à la mort avait changé. Beaucoup de personnes ont été privées, à cause du Covid, de cérémonies funéraires. Un besoin de partage s’est fait ressentir, on me demandait de parler de mon métier, j’ai donc créé ce compte et les échanges y sont incroyables. Mon but est que les gens sachent qu’on peut célébrer la mort autrement et qu’ils ont le droit de choisir une cérémonie qui leur ressemble.

Selon toi, le monde du funéraire a-t-il besoin de se réinventer ?

Je pense que c’est déjà en cours, et cela vient des familles avant tout, pas des professionnels. C’est aux familles de dire: « Non, je ne veux pas ça. » Elles ont le droit d’arriver et de nous demander des trucs de fous. C’est encore trop opaque, elles ne savent pas la différence entre ce qu’elles peuvent solliciter et ce qui est imposé par la loi. C’est à nous de leur faire comprendre qu’il y a des étapes obligatoires, mais qu’à côté de cela, elles ont une totale liberté sur le déroulement et le contenu de la cérémonie. Bien souvent, les pompes funèbres ne comprennent pas les demandes, ou ne savent pas comment faire. Il faut sortir du formatage.

Raconte-nous une de tes cérémonies où le formatage n’était plus de ce monde.

J’ai célébré la vie d’un punk. Les proches ont voulu venir au crématorium avec leurs chiens, j’ai dit OK! Ils avaient aussi un cochon, j’ai dû demander à ma direction, en leur assurant qu’on allait maîtriser la situation. J’ai d’ailleurs été très déçue quand le cochon n’a finalement pas pu se déplacer, il n’aurait pas supporté le transport. Au final, il y avait 300 personnes, la moitié était des punks et l’autre moitié était totalement mainstream. Tout ce mélange a fait bon ménage. On a poussé les watts car c’est comme ça que la défunte écoutait sa musique, et son ami s'est mis torse nu, une bière à la main. Un de mes collègues m’a glissé à l’oreille « franchement, c’est la décadence », alors que pour moi, je venais de célébrer une des plus belles cérémonies de ma carrière. On n’a pas à juger la vie des gens. Ce jour-là, il s’est vraiment dit que j’étais barrée.

Retrouvez Julie sur Instagram : https://www.instagram.com/m.u.r.m.u.r.e.s/

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